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Paroles de terrain : le confort d'un accompagnement à long terme


J'accompagne depuis bientôt un an et demi, avec ma collègue Isabelle Douillard, la ville de Ste Pazanne dans le cadre de la phase étude du dispositif Petites Villes de Demain. Dans un tout autre contexte, j’accompagne depuis 2019 la Direction du cycle de l’eau (DCE) de la Métropole nantaise dans le cadre de la construction d’un bassin d’eau enterré dans une zone à forte densité résidentielle.

Ces deux accompagnements au long cours ont provoqué chez moi une réflexion sur la place que prend le prestataire lorsqu’il intervient durant plusieurs mois, voire années ! A priori, cela induit une certaine forme de confort, ne serait-ce qu’en termes financiers, nous dégageant de l’obligation de trouver des contrats pour « faire tourner la marmite ». Mais au-delà de cette considération fondamentale et néanmoins éloignée des questions de fonds, les accompagnements à long terme sont-ils réellement aussi confortables que cela, et surtout sont-ils plus efficaces que les interventions de courte durée ?


L’accompagnement à long terme a souvent l’avantage de positionner l’intervenant extérieur dans un processus global, de la conception du projet à son bilan en passant par les phases de mise en œuvre.

Cette approche permet de réellement connaître le territoire, ses enjeux et son jeu d’acteurs. Cela facilite également le fonctionnement à plusieurs niveaux, en phase avec la complexité des territoires et leurs défis. A Ste Pazanne par exemple, nous avons commencé par une longue phase d’observation et de diagnostic en allant interroger les habitants sur leurs préoccupations actuelles et futures en ce qui concerne leur ville. Il en est ressorti un réel souhait de renouveler le lien social, de vivre dans une ville à taille humaine, dynamique et consciente des enjeux écologiques. Ces aspirations rejoignent la demande spécifique de la commune d’accompagner un groupe d’habitants pour faire émerger une maison citoyenne et de travailler aux côtés des élus de la commune pour rendre son fonctionnement interne plus participatif. Ainsi grâce aux temps long, nous avons pu, à partir de ce diagnostic initial, organiser un processus d’ensemble cohérent : un atelier-idées, une formation conjointe élus-habitants, des ateliers de co-construction d’une maison citoyenne, des restitutions en direction des habitants et des élus, un accompagnement personnalisé de la commission citoyenneté…




Une approche sur le long terme permet également et indéniablement de créer un lien de confiance entre la collectivité et des riverains par exemple, et ce malgré des contextes parfois tendus (voir mon article sur l'acceptabilité sociale). Le long cours donne le temps de mettre en place une réelle posture d’écoute et de prise en compte de la parole des citoyens comme en témoigne notre accompagnement de la DCE.

Mais, être présent sur un territoire durant plusieurs mois, voire années, comporte des risques en termes de posture, auxquelles il convient d’être vigilant à tout moment : que l’accompagnement soit de courte ou de longue durée, notre posture est celle du facilitateur et doit être perçue comme tel par l’ensemble des protagonistes. Nous aidons les projets à émerger, nous encourageons les idées à jaillir, nous créons les conditions pour favoriser la créativité et le pouvoir d’agir. Le risque lors d’accompagnements à long terme, où nous avons du temps à consacrer au projet puisqu’il s’agit de la mission qui nous a été confiée, est que cette clarté de posture glisse et que nous soyons perçus quasiment comme les porteurs du projet. Si de surcroît le portage politique du projet est défaillant, ce risque est démultiplié.

En terme professionnels, l’accompagnement long exige une capacité d’adaptation poussée, car un projet ne se déroule jamais (tout à fait) comme prévu. Bien souvent, il faut revenir sur la demande initiale pour la décortiquer et la reformuler car elle ne correspond pas ou plus au véritable problème. Ce constat est vrai pour l’ensemble des situations certes, mais dans le cadre d’un accompagnement sur le long terme, les conséquences sont décuplées, notamment pour le prestataire qui peut être amené à largement déborder de son cadre temporel et financier. En même temps, avoir le temps de « rectifier le tir » pour induire une réelle transformation est inestimable. Car là est le réel enjeu : si la collectivité fait appel à un intervenant extérieur, c’est bien pour induire une transformation, une évolution, une amélioration en faveur des habitants. Il me semble qu’avoir le temps favorise ces transformations car le changement comporte plusieurs étapes et a besoin de temps pour s’installer. Souvent, se faire accompagner est inconfortable pour le commanditaire : l’accompagnement met à jour des conflits latents, des non-dits, des dysfonctionnements… tout comme il dévoile par ailleurs des potentialités et atouts. Il appuie sur la complexité et sur les interdépendances. Il faut du temps pour accepter les constats extérieurs, pour les intégrer et ensuite agir afin de les faire évoluer.


Parfois, lors d’un accompagnement court, une certaine frustration se fait ressentir car on commence juste « à gratter la surface » et on laisse ensuite la place au commanditaire pour la poursuite du travail. Tâche bien souvent ardue, car la prise de hauteur et la neutralité du regard extérieur peuvent s’avérer indispensables lors de situations complexes et tendues.

Toujours est-il que dans les deux cas, la vraie question, comme toujours, est celle du sens : pourquoi se faire accompagner ? Quelle est la véritable difficulté ? Vers quel résultat les différentes parties prenantes souhaitent-elles arriver ? Leurs intentions se rejoignent-elles ?


Alors, comment choisir l’accompagnement le plus pertinent ? Évidemment, le calendrier et le budget entrent en jeu. Mais, il s’agit sans doute de dépasser ces seuls éléments pour réfléchir au sens, à la profondeur et la durée des transformations souhaitées. Il s’agit également de s’interroger sur la pertinence soit d’une intervention à un instant T pour répondre à une problématique ciblée, soit d’un accompagnement pour l’ensemble d’un processus qui nécessite un regard extérieur et neutre.


Sans doute que la balle est aussi dans le camp des intervenants : en fonction de la rencontre entre l’accompagnateur, le projet et les divers interlocuteurs dans le temps, les besoins réels émergeront au fil de l’eau permettant de proposer un accompagnement se limitant à quelques séances ou un suivi plus soutenu. Malheureusement, cette nécessaire capacité à l’agilité et à l’adaptation est mise à mal par un système d’attribution des marchés publics totalement déphasé par rapport à la réalité. Il faudrait avoir tout cadré et borné sans avoir mis les pieds sur le terrain ! Même si le système vise une certaine équité, il est en dehors de toute réalité et au final, il contraint l’intervenant extérieur, comme le commanditaire, à se restreindre à des accompagnements (courts) qui rentrent dans le cadre de la réglementation mais qui ne sont peut-être pas les plus pertinents face aux réalités vécues.

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